Le pouvoir accordé à l’ainé, un risque de dérives mésestimé
Publié le
2 oct. 2025
par Mathilde Carrée
Les disputes entre frères et sœurs ne sont pas toujours de simples chamailleries
A la maison, il n’est pas rare que l’ainé bénéficie d’une autorité sur les cadets. Les parents trop affairés, éreintés par leur charge de travail, ou absorbés par leurs propres difficultés, ont tendance à laisser les enfants jouer entre- eux dans leurs chambres ou dans le jardin, sans surveillance rapprochée. Ils prennent l’habitude de s’en remettre à l’ainé(e), qui par sa maturité affichée, semble, à priori, posséder les qualités requises pour gérer les situations en cas de disputes et le cas échéant, discipliner les cadets.
Les conflits fraternels sont souvent minimisés, considérés comme de simples querelles « bon enfant » ou comme des chamailleries sans conséquences. Pourtant, l’asymétrie de pouvoir due à l’âge peut générer des dynamiques de domination aussi toxiques que dans les relations adultes, avec des choses comme de la tyrannie, des vexations, du chantage, qui peuvent se mettre en place très tôt dans la vie d’un enfant. La plupart des parents ont tendance à intervenir quand ils entendent des cris, des pleurs, ou lorsqu’ils réalisent que leurs enfants en viennent aux mains. Mais la violence fraternelle ne se réduit pas aux coups et aux insultes. Elle englobe un spectre de comportements beaucoup plus large qui s’articulent autour de la recherche de domination avec une quête de contrôle et des enjeux de rivalités.
Des conséquences non négligeables sur la construction identitaire
Pour beaucoup de personnes, le premier combat de leur vie à lieu dans le cadre de leur propre famille où ils doivent apprendre à se libérer de l'oppression négative d’un ou de plusieurs proches. La tâche consiste à s’émanciper de la domination d’une autre personne et, bien que l’on pense principalement aux parents, il arrive pourtant qu’un enfant se trouve sous la domination d’un frère ou d’une sœur, dans la plus totale indifférence. Toutes les configurations sont bien sûr possibles, mais dans cet article je vais traiter uniquement de la quête de pouvoir d’un ainé sur ses cadets avec les conséquences trop souvent minimisées qui en résultent pour chacun d’eux. Il est un fait que si la situation n’est pas prise en compte suffisamment tôt, elle engendrera sans nul doute des troubles de la personnalité. Nous verrons que les cadets peuvent développer des difficultés de concentration, des troubles de l’attention, de la timidité et un complexe d’infériorité. L’ainé, quant à lui, va se mettre à adopter un tempérament dominant aux traits de personnalité narcissique.
Les dangers de la parentification
On parle de parentification lorsqu’un enfant assume des rôles ou des responsabilités normalement attribuées aux adultes. Dans la parentification, il est principalement question d’inversion des rôles. Lorsqu’un enfant ou un adolescent est obligé d’agir en tant que parent envers ses frères et sœurs, qu’il est désigné comme le responsable, qu’il lui est confié la tâche de médiateur, nous sommes bien dans un contexte de parentification. Cet enfant est élu pour prendre les décisions. Il est celui qui va pouvoir dominer la fratrie sans être inquiété.
Dans une famille, les plus petits recherchent instinctivement la compagnie de leurs ainés qu’ils prennent pour référence. Ils apprennent énormément à leur contact et s’en inspirent. C’est un réflexe sain et naturel. De plus, ils ont envie d’être aimés par leurs ainés qu’ils considèrent généralement comme des modèles, ils peuvent aller jusqu’à les idéaliser. L’ainé ressent cette fascination qu’ont les plus jeunes à son égard et cela n’est pas sans flatter son égo. Il est aussi flatté lorsqu’en plus, ses parents lui font confiance au point de lui accorder le droit d’ainé. Ce droit, bien que rarement explicitement formulé, il s’engouffre dedans pour tenter d’assoir une autorité qui, en réalité le dépasse complètement. Il a vite fait de réaliser qu’il a un pouvoir que ses frères et sœurs n’ont pas et il y prend gout. Il teste, il expérimente et il tire ses conclusions. Il ne lui faut pas très longtemps avant de pouvoir observer que certaines choses fonctionnent mieux que d’autres, des choses qui forcent les cadets à être plus dociles et à se soumettre à ses désirs. Car effectivement, entre autorité saine et désirs, il existe une grande distinction qu’hélas, un enfant ou un adolescent ne peut pas pleinement conceptualiser.
Par conséquent, les responsabilités qui lui sont confiées risquent fortement de basculer en abus de pouvoir et en domination arbitraire. La légitimation de la domination par l’âge ouvre la voie à toutes sortes d’abus, à commencer par l’emprise. Les petits n’ont aucun moyen d’identifier la violence relationnelle. Le risque qu’ils s’en plaignent est quasi nul.
La loi du plus fort est ainsi banalisée
La loi du plus fort devient la règle sans que les parents n’y prennent garde. Pour être le plus fort, l’ainé parentifié livré à lui-même, développe des stratégies plus discrètes que la violence physique. Il peut se moquer, impressionner, menacer, mentir, tricher, bannir, humilier, faire chanter, ignorer, faire peur, etc.
Un parent ayant lui-même subi des violences fraternelles dans son enfance ou en ayant fait subir, présente une probabilité plus élevée de reproduire ces schémas dans sa propre famille, ayant appris à les banaliser voire à les normaliser. L’autoritarisme est encore souvent inculqué dans beaucoup de familles où l’on enseigne que la force fait le droit. Les ainés ont besoin d’être canalisés dans leur tendance à la domination abusive. Laisser faire en pensent qu’il est préférable de rester neutre, est une porte ouverte vers une banalisation de la manipulation et les encourage vers des comportements narcissiques. Les cadets développent la croyance que l’affection s’obtient en étant conforme aux attentes d’autrui. Ils apprennent à se résigner et à nier leurs propres désirs.